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13. 18 août 1984. J'ai reçu une avalanche de lettres de toi.

Hyères, le 18 août 1984

Ma belle Source,

Que cela me fait plaisir ! J'ai reçu une avalanche de lettres de toi. En ce moment, je les dévore. Celles sur la chrétienté sont passionnantes.

Je te téléphone dès que je rentre à Paris.

Au fait, je n'ai pas du tout arrêté le IIIème Reich. Pourquoi dis-tu ça ? J'ai simplement beaucoup peiné.

Je suis devenue excellente en planche è voile. L'année dernière, j'ai en fait seulement appris à en faire. Et peut-être aller un peu à Houlgate m'intéresse : il y a un vent terrible là-bas (je fais de la planche avec un harnais. Tu me verras en photo !

Au revoir belle Source. Je t'embrasse très FORT.

                                       Ariane

* * *

                    Lettre-réponse de sa mère sur la chrétienté. (Elle fait  partie de l'"avalanche de lettres")                                                  

Paris, vendredi 10 août 1984 (Lettre tapuscrite sur une petite machine à écrire Rémington, celle qu'Ariane utilisait pour écrire ses nombreuses histoires (voir LA FICTION.)

Jolie, très jolie petite Annick,

       « Je suis chrétien, voilà ma gloire, mon espérance et mon soutien, mon chant d’amour et de victoire. Je suis chrétien, je suis chrétien ! »

       Ce n'est pas seulement une profession de foi, c'est aussi un cantique. Celui que j'ai chanté au patronage pendant toute mon enfance puisque tu sais que j'ai été baptisée, comme pratiquement tous les Français (ceux de 1984) et que j'ai suivi l'instruction religieuse, également comme presque tous les petits Français.

       Mais, ma jolie petite poupée, tu imagines que ce chant, ce cantique, remonte dans la nuit des temps, et il n'est pas impossible qu'il fut chanté par les premiers chrétiens martyrs au moment où ils entraient dans l'arène et lorsque les lions affamés se précipitaient sur eux.

       Une petite rectif à ma précédente lettre. Pierre, l'apôtre de Jésus (un des 12 apôtres) est bien le fondateur de l'Eglise mais cette Eglise ne fut pas appelée tout de suite « l’Eglise catholique et romaine ». Ce n'est que plus tard, après que le chef de l’Eglise, le "Pape", se soit installé à Rome (je ne peux en préciser la date, hélas), que l'on trouva cette appellation.


Pour ta gouverne, sache que le christianisme devint la religion officielle de l'Empire romain sous Constantin (306-337), empereur romain au 4ème siècle, qui fonda "Constantinople" comme son nom l'indique).

       Enfin, une petite précision qui peut tout de même être intéressante: Jésus était juif. L'Ancien Testament, c'est l'histoire des Juifs. Quand Jésus, qui se prétendait le fils de Dieu commença à prêcher, c'était en Palestine, là où vivait le peuple juif. Ce sont les Juifs qui l'ont condamné à mort car il est évident qu'il passait pour un révolutionnaire dangereux (dangereux pour l'Ordre établi (« l’Ordre »,  toujours !) et ce reproche (qui est « d'avoir tué le fils de Dieu ») est toujours imputé aux Juifs.

 

       Pour répondre à ta question : quelle différence y a-t-il entre chrétiens, catholiques et protestants ? J'imagine que tu as compris sans même que j'aie besoin de te donner d' autres précisions  :

       La grande communauté chrétienne qui s'étendait sur toute l'Europe avait pour chef le pape de Rome. Or, au 16ème siècle, un grand mouvement de contestation de l'autorité du pape prit naissance sous l'instigation du fameux Luther, en Allemagne. En France, c'est Calvin (sous François 1er) qui se mit à contester également l'autorité du pape et surtout, comme Luther, à remettre en question la façon dont le pape et les ecclésiastiques (c'est-à-dire les prêtres) vivaient et pensaient le christianisme (d’une manière non conforme aux préceptes et aux paroles du Christ). Et toutes ces contestations ont donné naissance aux diverses Eglises protestantes  (qui protestaient !).

       Ce grand mouvement religieux s'est appelé la Réforme et la conséquence la plus directe fut de soustraire une grande partie de la communauté chrétienne en Europe à l'obédience du Pape (16ème siècle).

       Après s'en sont suivi les guerres de religion (catholiques contre protestants), bref, tu connais l'histoire.

 

       Il y aurait une foule d'autres choses à dire. Je ne t'ai écrit que les très grandes lignes de cette division des chrétiens. Cela me fait penser au Congrès de Tour - dont je t'ai parié dans une de mes lettres - quand, en 1920, les socialistes se scindèrent en deux mouvements : les communistes et les socialistes.

       Dernière, toute dernière précision, ce qu'on appelle « catholicisme », c'est donc la religion des chrétiens qui reconnaissent l'autorité du pape (ce que ne font pas les protestants, ni les orthodoxes, ni les anglicans, etc...) (écrit à la main : Moi, Gisèle, je suis catholique, comme René, comme papa Hubert (le père d'Ariane). Hélas, je ne pratique pas, sauf dans mon cœur, et c’est le principal.)

 

       Ma grosse poupée, tu me reproches de ne t'avoir rien dit à propos des vouvoiements et des tutoiements. Moi, j’aime bien le vouvoiement, il met un petit voile de pudeur sur la tendresse et je dirais même qu'il ajoute une note d'authenticité dès qu’il s’agit de sentiment. Je n'ai pas envie de te dire vous, je l'admets, car tu es encore au fond de mon coeur mon tout petit bébé, mais j’aime bien cette façon que tu as d'alterner les deux choses.

      

       En ce qui concerne le job d'été, j'ai l'impression de m’être trés mal exprimée et de n'avoir pu me faire comprendre :       

       Il ne s’agit pas pour toi de gagner 3 francs 6 sous, mais d’acquérir « sur le tas » une expérience du travail, de tous les travaux (8 jours pompiste, 8 jours à faire des courses, 8 jours d'écriturerie, 8 jours à répondre au téléphone, 8 jours à classer divers dossiers, à trouver le rapport qui peut y avoir dans plusieurs affaires, bref, que sais-je !) Avoir le curiosité d'abord et l'expérience surtout du travail, de façon à ne pas arriver sur le marché du travail quand tu rechercheras un premier job, sans avoir eu un avant-goût de ce qu'est le travail.

Vu sous cet angle, cela peut être très intéressant. Prends des notes, surtout si le job est de courte durée (ce qui est souhaitable), informe-toi, sois curieuse. Je t'aiderai dans le choix et nous pouvons nous y prendre très tôt (en décembre ou en janvier). Je pense que c'est une excellente façon de te cultiver (comme tu dis) et qui ne tire pas à conséquence si tu t'en vas du jour au lendemain parce que tu en as marre. Tout dépend de la manière dont tu vois le chose.

 

       Enfin, the last but not the least, quand on est à la recherche sérieusement d'un bon emploi (après être sorti d'une école convenable), il est toujours bien vu d'avoir déjà travaillé sur divers petits jobs. (Tes différents patrons peuvent t’avoir donné d'excellentes références !) Tout cela ne compte pas pour du beurre.

       J'espère t'avoir convaincue et éveillé ta curiosité. Sans compter que les Américains (toujours à la recherche de la performance) sont très friands de ces petits jobs d'été au cours desquels ils ont des échanges et peuvent rencontrer the right man qui leur donnera un coup d’épaule plus tard. Oui, oui ! Echanges, rencontres, deux arguments non négligeables. Ne me dis surtout pas que tu sais comment cela se passe. Sous l'angle de la connerie, rien ne se passe. Il faut vouloir regarder, c’est une autre paire de manche.

 

       Ma chérie, une passion ne fait jamais "avancer" comme tu dis ! Une passion, c'est fait de deux pas en avant, trois pas en arrière. Une passion, cela te réjouit, cela te vide, cela te soulève, c'est ça la vie. Je fais allusion, tu l'as compris,à ma relation avec René. Certes, ce n'est pas facile. Mais tu sais que je ne suis pas très calme et que je suis incapable d'être toujours à la même température. Je suis un animal à sang chaud, avec ses humeurs. Je change de sentiment, je virevolte, mais cela n'a pas d'importance puisque tant de choses me passionnent. Tout, sauf l'indifférence et la froideur.

 

      As-tu écouté la cassette que je t'avais donnée de mon merveilleux Jean-Louis Bory ? Lui qui disait : « l'on me dit : "à défaut de dignité, ayez-en les apparences", moi, je réponds : "à défaut d'apparence, j'ai ma dignité !" Si tu l'as écouté, j'espère que tu as apprécié. Mais sache que si tu l'écoutes dans quelque temps, ce sera encore mieux. Car sur le plan de la spiritualité, sur le plan intellectuel, tu fais chaque jour des pas de géants et tu apprécieras de mieux en mieux l'humanisme, l'humour, la fantaisie et la conviction de J.L. Bory.

 

       Tu as bien de la chance ma poupée de pouvoir écrire : "jamais je ne suis contrariée à cause de quelqu'un". Es-tu sûre qu'il est bon de n'avoir aucune faiblesse ? A trop vouloir faire l'ange, on fait la bête, dit Pascal le philosophe. Je suis stupide, bien sûr, de mettre un doute dans ton coeur ou dans ta tête. Pour l'instant, tu es en recherche délicate d'équilibre et je pense que tu as raison d'affirmer que personne ne peut te contrarier. Mais je suis épatée tout de même.

       En ce qui concerne papa Hubert (le père d'Ariane), tu me demandes quelles sont les qualités  les plus importantes que je lui trouve, et également ses principaux défauts ?  Prudente, tu me demandes qualités et défauts « que je lui trouve », ce qui implique que tu envisages à priorité un manque d’objectivité ou plutôt une subjectivité évidente de ma part. Bravo !

       Eh bien, je te répondrai deux choses :

- premièrement, j'estime qu'une personnalité ne peut se réduire à des qualités et des défauts. Une personnalité, c'est plus riche que cela. Les défauts peuvent très vite devenir des qualités. Par exemple (ce n'est qu'un exemple) l'intolérance, l'impatience peuvent devenir dans une autre circonstance une exigence heureuse, souhaitable, indispensable).

- deuxièmement : en ce qui concerne ton père, je suis incapable d’un jugement. Pour moi, sa personnalité est trop embuée par les divers évènements qui ont eu lieu depuis ta naissance. Je ne sais rien rien, je ne vois rien. Excuse-moi. Sache cependant, comme j'aimais à te le dire quand tu étais petite, que je suis heureuse de l'affection que vous avez l'un pour l'autre.

 

       Non! Ma jolie poupée, le mec qui t'a baratiné au Vaudeville l'année dernière, n'a pas réussi à te convaincre le moins du monde. Tu t'es défendu comme un beau diable et tu as répliqué de belle façon ! Je te signale qu'il s'agit de Jacques Fabbri, monsieur assez connu malgré tout [directeur de compagnie, acteur et metteur en scène]. Renseigne-toi !

 

       Franchement, ma beauté, tes lettres sont passionnantes. J'ai beaucoup aimé tous les points que tu as soulevés.

       Tu as raison, nous avons un super programme toutes les deux. J'accepte, cela va de soi, de transcrire tes chansons - si j’en suis capable car ce n’est pas toujours évident.  Je t’achèterai les cassettes. J'en ai achetées pour moi-même et j'ai le bouquin. Dis-moi tout de même quel est ton programme et quand tu rentres.

       Prends ton temps pour rentrer, je veux dire qu’il ne faut pas rentrer exprès pour moi car, à l’inverse de toi,  j’aime bien Houlgate, d’autant plus que je ne fais qu’y passer de longs week-ends et que j’aimerais bien en profiter encore un peu. Téléphone-moi ta nouvelle adresse si tu en as une sur la Côte. Bref, ne me laisse pas sans nouvelle.

(écrit à la main : ) Je pense sans cesse à toi la Jolie. Comme nous allons être heureuses toutes les deux ! Je t’embrasse tendrement,


                                       Ta maman

   
 
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